Webinaire Bruno Latour
Dernière modification : 24 juin 2024
L’équipe agile radical a participé au webinaire avec Bruno Latour ; c’est bien ce qu’on lui devait, il a été le déclencheur de notre aventure avec son article sur les gestes barrières. C’est aussi l’occasion de valider que notre approche de rétro-confinement est bien congruente avec l’intention du philosophe.
Pourquoi un tel intérêt pour la proposition de Bruno Latour ?
L’Institut de la concertation et de la participation citoyenne avait invité Bruno Latour à réagir par rapport à l’engouement que produisait ses derniers écrits, et aussi à répondre aux questions, que ne manqueraient pas de poser les participants (environ 300).
Pour comprendre le thème de discussion du webinaire, et donc ce qui suit, il convient d’avoir pris connaissance de son article de fin mars paru dans AOC Media.
Vous trouverez le lien ici.
À savoir aussi que Latour est le fondateur du Medialab de Sciences-Po où il enseigne. Il a souvent cité Medialab pendant le webinaire, comme entité sur laquelle il s’appuie pour rendre concrètes ses expérimentations.
Et donc la première question : pourquoi faut-il attendre que l’on soit confiné, privé de mouvements pour que plein de gens s’interrogent sur ces questions et sur comment changer ?
L’explication que donne Bruno Latour de l’engouement rapide autour d’une question déjà posée dans son livre “Où atterrir ?” c’est simplement le confinement, et le fait que beaucoup de gens ne savaient pas trop quoi faire de leur temps.
Notre perception :
Tout au long du webinaire, Bruno Latour fera preuve d’humilité. Le succès de sa proposition est certes lié au moment, mais aussi au fait qu’il inclut un exercice pratique pour ce qu’il appelle l’inventaire.
L’intention de Bruno Latour
À propos des 6 questions en fin de l’article, la question est posée de savoir si les différentes utilisations qui peuvent en être faites, notamment comme thème de réflexion individuelle, étaient bien alignées avec l’intention du philosophe ?
Il ne s’agit pas que de faire sa propre introspection personnelle, mais aussi d’avancer sur une description partagée pour répondre collectivement à des questions concrètes.
Bruno Latour a repris ses exemples classiques :
- Si nous voulons conserver un hôpital local, comment peut-on s’y prendre ?
- Si nous arrêtons d’acheter des fleurs hollandaises, comment pouvons-nous faire pour en disposer localement à proximité de Paris, par exemple ?
Seulement la difficulté est de trouver le bon collectif (celui qui collecte) pour rendre cela actionnable.
À quelle échelle ?
À la question “Comment agréger tous ces résultats, comment organiser ce travail à l’échelle ? “, Bruno Latour répond qu’il ne s’agit pas tant d’agréger, mais peut-être plutôt de désagréger.
Le problème c’est l’échelle !
Le premier temps consiste d’abord à renverser l’échelle,
à fonctionner de façon horizontale, en réseau. ll s’agit de procéder par les moyens actuels, le cloud, par viralité (subir les conséquences du virus pour apprendre la viralité !).
Selon Bruno Latour, les maires et les partis politiques sont des structures anciennes, qui n’ont pas été conçues pour répondre aux problématiques qui se posent aujourd’hui si l’on tient compte des nouveaux moyens numériques. L’administration de l’état aussi.
Il a cité l’exemple du grand débat qui n’a débouché sur rien de visible actuellement.
Notre perception :
Les problèmes d’échelle, nous connaissons bien dans l’application de l’agilité à des organisations. Nous reprenons bien le fonctionnement horizontal ou latéral en tenant compte du contexte. C’est pourquoi nous avons proposé la rétro-confinement au niveau d’une équipe.
Le territoire
On le questionne ensuite sur le besoin de représentants pour décider ou pour agir.
Il définit d’abord le territoire sur lequel cela pourrait s’appliquer :
Le territoire ce n’est plus simplement là où l’on est, c’est ce dont on dépend pour subsister et qui est menacé.
Il revient à la question des représentants.
Pour lui, les représentations existantes : les maires, les partis ne sont pas les bons leviers
La représentation sociale est affaiblie depuis 50 ans.
Toutes les institutions sont affaiblies. Il suffit qu’une forme de représentation émerge pour qu’elle soit décrédibilisée.
Il évoque les associations existantes et les médiateurs
Il existe plus de 300000 médiateurs en France, et de multiples associations.
Bruno Latour reconnait l’importance des médiateurs pour la mise en oeuvre de son questionnaire.
Les médiateurs viennent de la base, c’est par eux que les réseaux se créent et se lient.
Notre perception :
La médiation, c’est ce que nous appelons aussi facilitation. Une équipe inclut un facilitateur (le Scrum Master) et peut se faire aider par un expert de la facilitation (le coach agile)
Attention ce n’est pas un sondage
Le questionnaire n’est pas prévu pour déboucher sur un sondage.
C’est un point-clé de la proposition de Bruno Latour : il faut d’abord une description. Il est revenu sur les cahiers de doléance sur lesquels il a beaucoup travaillé. La description commence par une introspection individuelle, ce sont les questions qu’il a mises à la fin de son article qui aident à cela.
Notre perception :
Derrière une apparence simple, il n’est pas si facile de se positionner sur les 6 questions. En particulier avec les questions 2 et 5 de son outil qui portent sur le pourquoi. C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’outil serait plus efficace dans le cadre d’un atelier (et plutôt découpé en 2 temps: jusqu’à maintenant et l’après). C’est ce que nous proposons dans les étapes de la rétro-confinement.
Ralentir et accélérer
Deuxième temps et deuxième paradoxe: il faut à la fois ralentir et accélérer.
D’abord ralentir pour prendre le temps de réfléchir à ce que nous voulons, c’est le but de la description.
Au delà de la prise de conscience, l’urgence climatique fait qu’il faudra accélérer et organiser les actions concrètes du changement.
À propos d’une question sur le rôle de l’état :
Il faut demander et apprendre à l’état à faire du beurre avec de la crème.
La crème c’est aux gens de la fournir.
Bruno Latour n’a pas de doute à ce que l’état arrive très bien à faire du beurre avec de la crème s’il avait le temps. Mais nous n’avons pas 50 ans devant nous.
Suite à une nouvelle question sur l’agrégation, Bruno Latour dit clairement qu’il ne sait pas comment faire, et il répète pas d’agrégation, c’est un mouvement latéral.
Suite à une question sur l’auto-organisation, il évoque Lippmann.
La problématique pour laquelle il n’a pas de réponse, c’est comment passer du vécu individuel au collectif (le collectif collecte), comment passer du local au global (en réseau).
Suite à une question sur le rapport de force, il redit pas tout de suite, c’est trop tôt avant d’avoir de la crème.
Notre perception :
s’arrêter pour réfléchir, c’est le principe de la rétrospective.
La place du non-humain
Comment organiser la représentation du non-humain dans nos organisations humaines ?
Vaste question. Bruno Latour invite à un autre webinaire pour en discuter.
Aujourd’hui nous sommes dans la phase d’introspection et de description nécessaire de la situation, qui devrait permettre à chacun de s’exprimer sur ce qu’il veut et la place qu’il attribue au non-humain.
Faire confiance aux personnes pour que cette préoccupation émerge.
A la question sur la place de l’école et de la pédagogie, Bruno Latour répond :
Bien sûr, mais c’est à vous de dire comment. Pour ma part, plus j’avance et moins je sais apprendre aux autres comment faire. Mon boulot c’est de poser des questions.
Le constat c’est que le non-humain prend déjà sa place. Le virus a pris une place considérable. Nous ne pouvons que nous en inspirer pour créer une viralité positive, dans la prise de conscience mais aussi dans l’action concrète.
Dans le monde vivant nous ne sommes qu’un élément.
En somme, nous n’avons pas les commandes. Comment pouvons-nous faire en sorte que le voyage soit le plus long et le plus agréable possible pour tous ses passagers ?
Et l’agilité radicale dans tout ça ?
Alors certes l’agilité s’applique pas que —mais surtout— dans l’entreprise alors que les questions portaient toutes sur les “territoires” (commune, collectivité, pays), le domaine dont étaient probablement issus les participants.
Cependant il ne nous est pas apparu que cela remettait en cause la légitimité de la réflexion que nous avons menée.
Peut-être subissons-nous un biais de confirmation, mais enfin ce webinaire nous a confirmé que nous avions bien interprété l’intention de Bruno Latour en hackant ses questions pour en faire la rétro-confinement.