Le début de la keynote à Agile en ligne
Dernière modification : 24 juin 2024
La présentation est disponible sur la page keynote, la revoir.
Le script ci-dessous concerne les 6 slides venant après le canal du Midi.
Klub de lecture
Cette présentation collective a émergé grâce au confinement.
Avec Anthony et Jean-Pascal nous organisons ensemble le klub de lecture Agile Toulouse depuis des années. Après quelques jours passés confiné, Jean-Pascal a eu l’idée de proposer un klub hebdo. En ligne bien sûr. C’est devenu le klub du jeudi.
Aussitôt lancé. La lecture serait plus courte que d’habitude. Au lieu d’un livre, le sujet serait un article ou une vidéo.
Début avril l’article choisi fut celui de Bruno Latour.
Bruno Latour
Bruno Latour est un philosophe et sociologue, réputé dans le monde entier.
Son article s’appelle :
Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise*
Le message est clair :
Pas revenir comme avant ! Surtout pas.
L’article se termine par un questionnaire, ou exercice d’auto-discernement sur ce que nous souhaitons pour le post-confinement. C’est un inventaire de nos activités, qui nous fait réfléchir à celles suspendues depuis le confinement que nous ne voulons pas reprendre et à celles dont nous souhaitons qu’elles reprennent.
La lecture a résonné dans nos têtes d’agilistes, habitués à mener des rétrospectives. S’appuyer sur le passé pour préparer l’avenir.
L’idée de la rétro-confinement était née. Nous avons hacké l’outil de Bruno Latour pour l’adapter au contexte d’une équipe agile.
Alors je dis bien équipe, car c’est à ce niveau que nous pouvions expérimenter l’atelier et en plus c’est toujours mieux de commencer à petite échelle, mais il est applicable à plusieurs équipes, une entreprise, une communauté.
Confinement et agilité
Le confinement a provoqué un changement radical dans la vie des gens. Pour les équipes agiles aussi. Du jour au lendemain, quelque chose qui paraissait impossible à beaucoup comme le travail à distance s’est généralisé.
Le confinement est provisoire (en principe) alors reviendrons-nous à la situation d’avant, ou bien à autre chose ?
Le conseil de Bruno Latour —que nous faisons notre— c’est qu’il ne faut surtout pas revenir à la situation d’avant, celle
du capitalisme extractiviste et de ses massacres écocidaires.
Pour l’agilité qui a été bien souvent récupérée par le business et mise au service de ses décideurs, notre souhait est une bifurcation radicale, consistant littéralement à reprendre racine.
Nous avons constaté que de nombreuses agilistes se sentent concernés par l’urgence climatique et sociale et par la place qu’il veulent avoir dans la société.
Mais beaucoup nous disent aussi qu’après la crise, ils pensent que ce sera le retour du business as usual.
Nous ne savons pas, mais ce dont nous sommes persuadés c’est que c’est le moment d’essayer quelque chose.
Nous vous proposons une réflexion sur ce que pourrait être l’agilité radicale post-confinement.
Ça tombe bien, certains d’entre nous ont du temps pour réfléchir en ce moment. Et si nous mettions ce temps à profit pour saisir l’opportunité de prendre notre part à ce mouvement ?
Pour commencer nous faisons un constat et nous proposons une réflexion sur la notion de valeur.
Le constat c’est que les équipes agiles se sont adaptées depuis le début du confinement. Des initiatives ont émergé —et cette conférence en est un bel exemple—. Il y a sûrement parmi elles des belles initiatives que les équipes auront envie de conserver.
C’est pourquoi nous les ajoutons dans la rétro-confinement.
La notion de valeur revisitée
La notion de valeur pour les utilisateurs et parties prenantes est au coeur de l’agilité. C’est le fait de procurer régulièrement de la valeur qui définit une équipe agile.
La valeur sert à prioriser le backlog.
J’ai pris l’habitude de présenter la valeur liée à la production d’une équipe, le résultat qu’elle obtient, comme soit de la valeur métier, soit de la valeur d’apprentissage, celle qui nous permet d’apprendre et donc diminue les risques.
Pour bifurquer vers l’agilité radicale, il nous faut revoir cette notion à l’aune de la crise actuelle.
Passer de
Valeur = f (valeur métier, valeur d'apprentissage)
à
Valeur = f (valeur métier, valeur d'apprentissage, impact écologique, impact social)
Bruno Latour invite à prendre en compte la valeur écologique de ce que nous produisons. En réaction à la crise, nous y ajouterons également la valeur sociale. Comment la définir ?
La valeur sociale, c’est le sujet de prédilection de David Graeber.
David Graeber
David Graeber est un anthropologue. Il est connu pour avoir popularisé l’expression bullshit jobs.
Il définit ainsi un job à la con :
Ma définition est entièrement subjective : si les gens trouvent que leur boulot n’a pas de sens, que s’il disparaissait cela ne changerait rien, qu’à la limite le monde s’en porterait légèrement mieux, ça veut dire qu’ils font un job à la con.
On est d’accord que ne rentrent pas dans cette définition les soignants, les livreurs, les éboueurs, tous ceux qui font tourner la boutique en ce moment.
Ayons une pensée pour eux.
C’est grâce à eux que nous pouvons continuer sans trop de problèmes pour la plupart d’entre nous pendant ce confinement.
Pour ce que vous faites vous, je vous laisse réfléchir…
Je vous préviens que Graeber dit que la plupart des informaticiens qu’il a rencontré considèrent qu’ils ont un job à la con.
Même si votre job à la con est bien payé, c’est peut-être le moment de bifurquer vers un job qui sert aux autres.
Justement Graeber nous propose une définition de la valeur sociale :
Ce serait peut-être ça le nouveau paradigme de la valeur sociale : prendre soin les uns des autres de sorte que chacun soit plus libre, profite de la vie, jouisse de la liberté et occupe agréablement ses loisirs. Je vous assure que la société serait bien plus saine sur le plan psychologique et durable sur le plan écologique.
Une équipe agile se préoccupe déjà de la santé de ses membres, et en principe un bon scrum master y veille.
Prendre soin est à élargir aux autres et pour le temps long (les décisions stratégiques) en réfléchissant l’impact social des produits et services développés.
C’est qu’invite à faire la rétro-confinement.
Halte aux globalisateurs
Bruno Latour nous avertit que les globalisateurs réfléchissent déjà au post-confinement. Ce sont ceux qui veulent reprendre et intensifier la production.
Nos globalisateurs, dans l’agilité, ce sont sûrement ceux qui, avant le confinement, ont conduit des équipes au faux-agile.
D’ailleurs certaines équipes agiles en subissent déjà les effets, celles à qui on a dit :
Bon, maintenant vous arrêtez avec l’agilité et vous vous concentrez sur la production.
D’autres équipes ont été carrément dissoutes ou chamboulées avec les sous-traitants priés d’aller se confiner ailleurs, en quittant le projet.
La rétro-confinement est un outil pour mettre en place des gestes barrières contre ces forces qui voudront nous faire revenir comme avant, ou en pire qu’avant.
Le geste barrière, c’est une action concrète qui vient de nous, de l’équipe.
C’est ce côté pratique dans la proposition de Bruno Latour qui nous a séduits. Il n’est pas question d’une solution magique qui serait imposée à tous.
Cela résonne complètement avec l’agilité :
Une équipe est devenue agile quand elle définit elle-même sa façon de travailler.
C’est l’auto-organisation. Nous disposons aussi de la rétrospective.
Cet exercice que nous vous proposons de faire, c’est l’opportunité d’aller plus loin qu’une simple rétrospective en challengeant le sur quoi on travaille, pour quel résultat
Qui, en plus de se demander si le produit apporte de la valeur (aux utilisateurs), questionne l’impact écologique et social.